Côte de Nacre Magazine. Edition 2020/2021
C ôte de N acre M agazine • 17 La Normandie est la plus ancienne région touristique de France, le berceau de la mode et du tourisme balnéaire. Et comme aime le rappeler Alice Gandin, (auteure d’un bel ouvrage intitulé « Destination Normandie, deux siècles de tourisme »), « la région fut, dès le début du XIX e siècle, une des destinations privilégiées des tou- ristes. La longueur de ses plages, la quali- té de son air iodé et la proximité de Paris firent rapidement de quelques villes et vil- lages de pécheurs normands, des stations balnéaires renommées ». ET POURTANT LA MER ETAIT HOSTILE ! Le tourisme balnéaire ne serait jamais né sans un changement de perception de la mer. Car l’espace côtier, avant de devenir un endroit consommé, un espace regardé, un produit touristique, est globalement l’ob- jet de fantasmes développés et entretenus collectivement. La mer fut très longtemps un élément hostile que Jean Delumeau dé- crit en soulignant que « parmi les peurs de l’Occident moderne, celle de l’élément ma- rin est centrale. La mer sépare les morts des vivants, elle est abime et nuit. Elle avale les marins, apporte la peste noire, les invasions normandes ou sarrasines, les pirates et les monstres ». Un peu excessif mais il faut se situer dans le contexte de l’époque. L’ANGLETERRE A L’ORIGINE Au XVI e siècle, les Anglais découvrent les bienfaits thérapeutiques des eaux de source (Bath) et plusieurs médecins reconnaissent les vertus curatives de l’immersion en eau de mer. Bien plus tard et à titre d’exemple, c’est la raison pour laquelle Marcel Proust, d’une santé fragile, séjourne à Cabourg dans les années 1880. Le bain de mer est fortifiant comme l’atteste une réclame : « Le frais varec de Luc-sur-Mer, tel un bain de jouvence, rajeunit le vieillard et fortifie l’enfance ». Les Bains créés en 1859, feront la réputation de Luc et continuent encore aujourd’hui. Tout au long du XIX siècle, les bains sont dits à lame c’est-à-dire pris dans la vague mais il se prennent aussi accroché à une corde avec de l’eau jusqu’à la taille. Le supplice du bain devient alors un véritable plaisir et l’apprentissage de la nage libère des guides-nageurs. Dans certains en- droits, les lieux de baignades sont divisés en trois quartiers, un pour les hommes, un pour les femmes et un pour les couples et les familles. On installe des cabines à flot pour accéder à l’eau sans être vus. Tentes, cabines et fauteuils deviennent des élé- ments indispensables à la vie des nageurs. SITUATION GÉOGRAPHIQUE IDÉALE. Mais ce qui parachève le développement des stations balnéaires, c’est la situation géographique de la région ! Cette frange littorale du Calvados est à la fois reliée par le train et par un réseau routier performant (l’A13 étant la plus ancienne autoroute de France). Les premières stations balnéaires sont adossées à des villages de pécheurs (Luc, Lion, Langrune), d’autres stations sont créées à l’image de Riva. Et ce qui caracté- rise la Côte de Nacre c’est cette proximité entre stations chics et d’autres plus abor- dables. La doyenne reste Luc-sur-Mer, la seule à être dotée d’un établissement de bain de mer, nous l’avons dit, mais jouissant également de la proximité du pèlerinage de la Délivrande. Dès 1825, des cabanes sont placées sur la grève et une étude de 1839 cite les plages de Lion, Langrune, Bernières et les bains de Courseulles situés dans l’Ile de Plaisance. MODE, ARCHITECTURE, ART ET TRANSPORTS… Ce nouvel engouement pour les bains de mer fait évoluer les choses dans bien des domaines. Les costumes et maillots de bains témoignent de l’évolution de la pra- tique des bains de mer. Du lourd costume en laine qui servait à protéger les corps ma- lade des regards indiscrets, on passe à la fin du XIX siècle à un costume plus élégant, généralement en étamine de laine foncée, gansée de blanc. Pour les femmes , le mail- lot en maille jersey une pièce apparait juste avant la première guerre mondiale. Il permet au corps une certaine liberté et la souplesse des mouvements nécessaires à la nage, devenue sport et technique du corps. Dans un tout autre registre, les stations balnéaires sont de véritables laboratoires de création architecturale. La construction de villas et d’hôtels, d’établissements pu- blics comme les casinos (Saint Aubin-sur- mer) sont autant d’occasions de proposer de nouvelles formes architecturales plus ou moins ostentatoires. C’est ainsi que de 1850 à 1900, les Côtes Normandes voient sur leur front de mer se dresser des villas au style éclectique : influences classiques, mauresques, suisses, flamandes, italiennes avant d’assister à une montée de l’influence régionaliste qui vise à diminuer les effets fantaisistes de l’éclectisme, au profit d’une certaine homogénéité. A travers les bains de mer, certains peintres ont fait rayonner la Côte Normande. On pense immédiatement à Eugène Boudin mais également à bon nombre d’impres- sionnistes séduits par les plages et les ciels plus qu’inspirants. Enfin, nous l’avons dit, les transports connaissent durant cette période EN DEUX SIÈCLES, LES BAINS DE MER ONT METAMORPHOSÉ LA CÔTE DE NACRE Avec l’aimable collaboration d’Alice Gandin © Musée de Normandie
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